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Sujet: Prier sans cesse. Par ThéoDom Dim 9 Fév - 10:41
Prier sans cesse...
Voix off : En piochant au hasard dans la Bible que vous avez mise en rayon, je viens de tomber sur le passage de st Paul “prier sans cesse”...
Sr Marie : « Soyez toujours joyeux, priez sans cesse ! » (1Th 5, 17) : dit saint Paul.
Dans le Petit Larousse, on définit la prière exactement comme le ferait saint Thomas d'Aquin : « Un acte de religion par lequel on s'adresse à Dieu pour exprimer son adoration, ses demandes, son action de grâce ». Un acte de religion, c'est-à-dire un acte qui nous relie à Dieu ; un acte par lequel on s'adresse à Dieu, en lui parlant, tout fort ou mentalement : « Quand on prie, on remet à Dieu son esprit »(Denis Vasse, Le Temps du désir.), dit saint Thomas. Nous croyons que la prière est source de la vie, pour soi, et pour autrui... Cependant nous le savons, être toujours joyeux n’est pas possible. Et prier sans cesse, est-ce possible ? Non. Est-ce souhaitable ? Peut-être pas. Serait-ce juste ? Cela mérite qu'on y réfléchisse...
Prier sans cesse, en termes techniques, cela s'appelle la « prière continuelle », à laquelle les Pères du Désert se sont voués dès l'origine. Ils la recherchent comme un trésor. Ils ont inventé pour cela des techniques d'ascèse, de respiration, des prières « jaculatoires » (c'est-à-dire très courtes et qu'on lance vers le ciel), la récitation nocturne du psautier tout entier. La « prière de Jésus » des moines orthodoxes est devenue un bien commun : avec ou sans « chodki », on répète en continu « Jésus, fils du Dieu vivant, prends pitié de moi, pécheur ».
Sr Julie : Prier sans cesse, cela passe bien sûr par le fait de prendre des moyens concrets pour se mettre régulièrement en présence de Dieu et se souvenir de ses œuvres. Mais ce qui est spécifique à la prière chrétienne, c’est qu’elle s’adresse au Dieu de Jésus-Christ. Ce n’est pas un Dieu impersonnel. Notre Dieu a voulu prendre notre humanité et a donné librement sa vie pour tous les hommes en mourant sur une croix. En réponse, depuis des siècles, des hommes et des femmes choisissent de Lui donner leur vie en « quittant tout » pour entrer au monastère. Ce qui est premier, c’est le don du Christ ! J’aime ces deux phrases des Constitutions dominicaines qui nous rappellent où s’enracine notre prière : « Que le Christ soit fixé dans leur cœur, lui qui pour tous a été fixé sur la croix. » (Livre des Constitutions des Moniales de l'Ordre des Prêcheurs, n°74, 1.4)
Peu à peu, la prière nous façonne, nous configure au Christ. Nous ne devenons pas une autre personne, mais tout notre être s’unifie, se simplifie au fil du temps. La vie monastique a précisément pour but cette unification. Cela passe par de nombreux combats intérieurs contre nous-mêmes (orgueil, jalousie, colère, goût pour le pouvoir, …) mais si nous laissons le Christ agir, nous en sortons vainqueurs.
Comment ne pas s’émerveiller devant ces hommes et ces femmes âgés, burinés par la vie, qui avancent avec confiance devant le grand passage de la mort ! Tout leur être est prière, tant ils sont sûrs de l’amour de Dieu.
Voix off : On voit bien que tout l'enjeu est dans la durée... Mais dans la vie courante ? En ville ? Au travail ?
Sr Marie : Écoute ce que répond saint Augustin : « Ton désir, voilà ta prière ! Si ton désir est continuel, continuelle sera ta prière. Ce n'est pas sans raison que l'Apôtre dit « Priez sans cesse ». Nous faut-il sans cesse plier les genoux, prosterner le corps, lever les mains, parce qu'il a dit « Priez sans cesse » ? Je ne vois guère que nous puissions le faire sans cesse. Mais il existe dans l'âme une autre prière, intérieure, et qui n'a pas de cesse : le désir. Si tu ne veux pas cesser de prier, ne cesse pas de désirer. Ton désir continuel sera ta voix continuelle. Ta voix ne se tait que si tu cesses d'aimer. » (Commentaire sur le psaume 37)
Voix off : Ce n'est pas trop mystique ?
Sr Marie : La grande question de la mystique est toujours brûlante : ce qui nous fera toucher Dieu ultimement, est-ce plutôt l'amour, ou l'intelligence ? Deux traditions divergent. Saint Thomas nous transporte dans l'éclair de la connaissance de Dieu qui est pour lui un regard sur le vrai dans sa simplicité. Saint Augustin, de son côté, insiste sur la puissance de l'amour. Commentant l’évangile de Jean, il cite la parole du Christ : « ''Nul ne vient à moi si mon Père ne l'attire'' : Tu montres une branche verte à une brebis, tu l'attires. Offre des noix (des bonbons) à un enfant il est attiré, il est attiré et il court, il est attiré par son amour. - Donne-moi quelqu'un qui aime et il sentira la vérité de ce que je dis. Donne-moi un homme tourmenté par le désir, donne-moi un homme passionné, donne-moi un homme en marche dans ce désert et qui a soif, qui soupire après la source de l'éternelle patrie, donne-moi un tel homme, il saura ce que je veux dire.» (Homélies sur l'Evangile de Jean, XXVI, 5.4)
Ne nous attardons pas à de faux choix ! La prière continuelle, c'est justement demeurer dans la tension et la veille, jusqu'à découvrir en lumière rasante la grâce de Dieu illuminant le réseau de nos vies (parfois même lumière noire, devant le mystère de la Croix). L’amour ET l’intelligence concourent à ne jamais nous croire arrivés.
Sr Julie : Dans ce « prier sans cesse », il y a aussi l’appel à élargir notre cœur aux dimensions du monde : « Le monde leur tient lieu de cellule et l’océan de cloître », disait déjà frère Matthieu de Paris en 1269. Prier, ce n’est pas être dans sa bulle et vouloir être préservé des épreuves de la vie. Au contraire, cela doit nous rendre toujours plus sensible à la détresse des hommes. Toute rencontre vraie d’une personne est déjà une prière. Enfin soulignons que pour un chrétien, la prière personnelle se nourrit de la participation aux sacrements (eucharistie, sacrement de réconciliation) et de la prière de l’Eglise (liturgie des heures). C’est avec tout cela que, peu à peu, je peux regarder ma vie comme un don, découvrant que je ne suis qu’une créature ayant tout reçu de Dieu, et en même temps que je suis aimée de manière unique par Dieu. Apprendre du Christ à reconnaître Dieu comme mon Père, c’est assez extraordinaire !
Sr Marie : En conclusion, dans la prière, on s'adresse à Dieu en esprit, évidemment, mais aussi à l'aide de bien de moyens corporels – la prière continuelle cependant suppose un don de soi intégral au Christ, moyennant quoi elle façonne toute notre vie. Elle unifie notre intelligence et notre cœur jusqu'à nous simplifier au maximum. La petite Thérèse le résume ainsi : « la prière, c'est un simple regard tourné vers Dieu ». Et saint Paul nous le rappelle : c’est l’Esprit Saint qui prie en nous. « Nous ne savons pas prier comme il faut. L’Esprit lui-même intercède pour nous par des gémissements inexprimables. » (Rm 8, 26)
soeur Julie et soeur Marie-de-la-Croix
Sœur Marie de la Croix, moniale dominicaine à Chalais, avait donné en 2018 pour la session ThéoDom un enseignement : "Attention et Intériorité : trouver Dieu dans la prière à l'école de saint Augustin. Sœur Julie, moniale dominicaine à Chalais, assez "généraliste", peut-être parce qu'elle a été professeur des écoles, et passionnée du Christ et de l'Evangile.
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Sujet: Re: Prier sans cesse. Par ThéoDom Lun 10 Fév - 11:47
Merci pour ce très beau sujet sur la prière continuelle!
Prier sans cesse, est-ce réaliste ?
Si prier consiste à dire des prières, alors on comprend bien qu’il ne soit pas possible de proférer ou de balbutier sans relâche des formules dans une église ou un oratoire.
Si prier signifie vivre une intimité d’amour avec Dieu, la prière continuelle est non seulement possible, mais elle est absolument nécessaire !
En effet, la vie perd sa saveur sans cette communion d’amour permanente avec le Seigneur ! Les épreuves deviennent écrasantes, les joies fugaces ; le christianisme se réduit progressivement à une pratique et non plus une rencontre vivifiante avec Jésus en personne.
Soyons réalistes : nous expérimentons régulièrement dans nos journées ces manques d’attention, cette imagination débordante, ces distractions… On serait tenté de dire comme Madeleine Delbrêl : « Mon Dieu, si Vous êtes partout, comment se fait-il que je sois si souvent ailleurs ? »
Jésus nous invite sérieusement à « veiller et à prier en tout temps » (cf. Lc 21, 36). Il nous connaît bien, pourtant ! Et saint Paul écrit aux Thessaloniciens : « Restez toujours joyeux. Priez sans cesse. En toute condition, soyez dans l’action de grâces. C’est la volonté de Dieu sur vous dans le Christ Jésus » (1 Th 5, 16-19).
Comment donc « prier sans cesse » ? La réponse principale nous est donnée par saint Augustin : « Ton désir [de Dieu] est ta prière ; si le désir est continuel, la prière est continuelle… C’est donc dans la foi, l’espérance et l’amour, par la continuité du désir, que nous prions toujours ».
Si l’on se découvre incapable de désirer ? « Désirez quand même », répondait Marthe Robin ! « Celui qui désire ardemment l’amour, aimera bientôt avec ardeur », constatait saint François de Sales . Et si l’on n’arrive même pas à « désirer désirer » ? « Eh bien, désirez désirer désirer ! », ajoutait Marthe Robin, avec un brin d’humour et beaucoup de vérité.
À côté du désir de Dieu, deux clés nous sont offertes pour vivre dans cette présence continuelle de Dieu.
La première consiste à faire de tous les événements de notre vie une occasion d’entrer en intimité avec Jésus, Marie ou les saints. Nous nous perdons souvent dans d’intenses monologues intérieurs !
Cherchons plutôt à partager avec Jésus toutes les circonstances de notre quotidien, les bonnes comme les mauvaises : « Jésus, je Te confie les enfants » ; « Jésus, merci d’être avec moi dans la voiture » ; « Je Te prie pour cette rencontre »…
Thérèse d’Avila nous y encourage : « Comprenez bien que Notre-Seigneur est là, au milieu des marmites, qui vous aide, et à l’intérieur et à l’extérieur » !
La deuxième clé, ce sont les oraisons jaculatoires, ces « flèches de feu » que l’on projette vers le cœur de Dieu cent fois – deux cents fois – par jour : « Jésus, merci de m’aimer ! » ; « Jésus, je T’aime ! » ; « Ô Jésus, ma joie ! » ; « Jésus, Marie, Joseph ! »
Saint François de Sales dit que tout l’édifice de l’amour de Dieu repose sur la pratique de ces oraisons. « Elles peuvent suppléer au défaut des autres prières, mais toutes les autres prières ne sauraient suppléer au manque d’oraisons jaculatoires. »
Je trouve ce mot « oraisons jaculatoires »absolument pas attrayant. Par contre, parler de « flèches de feu », de mots ou de soupirs d’amour vers Dieu, là cela nous parle. Mais même comme ça, ce n’est pas toujours évident. Le meilleur moyen que j’ai trouvé , c’est de prendre une phrase d’un chant de louanges qui m’interpelle et là on peut chanter pendant des heures et ne plus penser qu’à Dieu! Enfin, chacun ses méthodes....
Azur
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Sujet: Re: Prier sans cesse. Par ThéoDom Lun 10 Fév - 11:48
« Le secret d'une prière continuelle, c'est le désir » - L’art de la prière (3/4)
« Prier sans cesse. » Qui n’a jamais rechigné devant cette exigence effrayante du Maître ? Nous ne sommes pas des moines ! Il nous est déjà si difficile de tenir bon quelques minutes dans la prière ! La vertu de force nous aide à une prière audacieuse et tenace.
En matière de prière, le culot et l’endurance paient. Tel est l’enseignement de l’Écriture, depuis le marchandage d’Abraham (Genèse 18) jusqu’à la parabole de l’ami importun (Luc 11, 5-. Hardiesse et ténacité sont les mamelles de l’efficacité. Prier relève ainsi de la vertu cardinale de force.
Comme la liturgie nous le laisse entendre, nous ne récitons pas le Notre Père, nous osons dire (audemus dicere) et avec quel frémissement ! Et « Notre Père!».
C’est une audace inouïe quand on y pense d’oser frapper à la porte de l’éternité pour quémander ce dont nous avons besoin. Jamais nous n’oserions le faire si le Seigneur lui-même ne nous avait invités par son enseignement à nous enhardir !
Ne craignons pas de réveiller celui qui ne dort jamais (cf. Psaume 121). Car le Père est toujours à l’œuvre (Jean 5, 17). Ne craignons pas de cogner à la porte de Dieu, de lancer vers lui nos pauvres cœurs de pierre comme pour en lapider le ciel.
Harcelons gaillardement la Providence, car nous avons appris que notre désir de recevoir sera toujours infiniment inférieur à son désir de nous donner.
Voici d’ailleurs le secret d’une prière continuelle : le désir. « Ta prière, c’est ton désir », disait saint Augustin. Quand est-ce que la prière cesse ? Non quand la langue se tait, mais quand le désir s’épuise. La question de vérité est donc : qu’en est-il de notre désir de prier ?
Le Seigneur donne en exemple, pour nous apprendre qu’il faut toujours prier sans jamais se lasser, une veuve enquiquinante qui tambourine toute la nuit à l’huis d’un juge inique (cf. Luc 18,1-.
Quel désir soulève cette femme ? Quelle révolte lui donne cette obstination ? Dans son pugilat nocturne contre la porte d’iniquité, elle ne désarme pas ! Elle mène avec ténacité ce combat d’avant l’aube. Ce que femme veut! Peut-être au matin, de guerre lasse, la bobinette cherra ?
On ne lâche pas facilement prise, ce me semble, quand on aime. Pensez à Brel qui attend Madeleine! Rien ne fait diminuer en lui le désir, l’aspiration furieuse, même après le dernier tram 33 et la fermeture de chez Eugène et du cinéma!Demain, il attendra Madeleine, contre toute raison, car son attente c’est sa vie, son espérance, son Amérique à lui.
La comparaison vaut ce qu’elle vaut, mais attendons-nous Dieu avec la même ardeur dont font preuve la petite veuve et le grand Jacques ?
N’avons-nous pas laissé baisser le feu en nos cœurs assoupis ? Rien n’alimente plus, dirait-on, la forge puissante de notre désir, de cette respiration haletante d’espérance qu’est essentiellement la prière.
Un chrétien, en effet, prie comme il respire. Constamment. Sans arguer que, tout occupé qu’il est à respirer, il ne peut rien faire d’autre.
Mais bien certain, en revanche, qu’il ne peut rien faire d’autre sans respirer. Les occupations de ce monde l’essoufflent-elles ? Qu’il prenne le temps de l’oraison, ce grand bol d’air réparateur.
Inutile de s’agiter, qu’il se tienne là, à la porte du tabernacle, simplement, tranquille et espérant.
Qu’il ne fasse point comme ce petit enfant qui, soudain, dans la rue, ne voit plus sa mère : il se met à courir en tous sens, il va, il vient, il retourne, il s’affole, il zigzague en pleurant ; mais il a tort ! S’il a suffisamment de raison et de force d’âme pour s’arrêter et patienter sans bouger, sa mère le retrouvera plus vite. Voilà bien le paradoxe : plus l’enfant l’attendra longtemps, plus sa mère le retrouvera vite ! Il faut seulement attendre et appeler.
Croit-il donc, cet enfant, qu’il est seul à chercher dans la nuit ? A-t-il si peu de confiance en sa maman ? Ne sait-il pas que c’est elle, la plus inquiète des deux, qui fera l’essentiel du trajet pour le chercher ?
Il en va ainsi du Seigneur. Avons-nous si peu de foi en lui ? Ignorons-nous qu’il est le plus impatient et que, déjà, il est sorti à la recherche de ceux qui l’espèrent et crient vers lui sans se décourager ?
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Sujet: Re: Prier sans cesse. Par ThéoDom Lun 10 Fév - 17:27
Azur a écrit:
Je trouve ce mot « oraisons jaculatoires »absolument pas attrayant. Par contre, parler de « flèches de feu », de mots ou de soupirs d’amour vers Dieu, là cela nous parle. Mais même comme ça, ce n’est pas toujours évident. Le meilleur moyen que j’ai trouvé , c’est de prendre une phrase d’un chant de louanges qui m’interpelle et là on peut chanter pendant des heures et ne plus penser qu’à Dieu! Enfin, chacun ses méthodes....
Merci Azur pour ton partage.
Ma "méthode" à moi (comme tu dis, chacun les siennes) est le chapelet et aussi le chant (quand je suis seule)