Nombre de messages : 3945 Age : 78 Localisation : Bretagne Date d'inscription : 09/05/2011
Sujet: "Notre Père.. " par ThéoDom Lun 13 Jan - 13:56
Notre Père (1/3) On commence par la fin ?
Maître, apprends-nous à prier. Quand vous priez, dites : Notre Père C'est dans les Évangiles, et, 2000 ans après, on est toujours à l'école. Qui dit école dit maître, et là c'est Jésus Christ. Qui dit école dit aussi objectifs d'apprentissage – des contenus – et objectifs d'éducation – aujourd'hui on dit des savoir-être. Parce que le NP, c'est une école de théologie : qui est Dieu, qui est l'homme ; et une école avec travaux pratiques : comment faire pour prier. Oui, on commence par la fin : Notre Père, qui es aux cieux.
voix off : Non, mais, mon gars, là, c'est le début, pas la fin ? [#meprendspaspourunjambon]
Et pourtant si, c'est la fin, en théologie on peut dire pour être plus clair : la fin, aka, la cause finale …
voix off : ah bah oui indéniablement, c'est plus clair …
Mais si, la cause finale : le but, en clair, ce pour quoi on fait quelque chose. Par exemple : je me lève le matin, ce n'est pas pour me lever que je me lève. C’est plus clair, oui ? on continue. La voilà, notre fin, ce vers quoi on va, ce pour quoi je me lève tous les matins, même si je pense d'abord et surtout à mon café c'est, au fond du fond, en vue du Père que je me lève (pensez-y à votre cause finale, la prochaine fois que vous avez du mal à sortir de dessous la couette : pas pour culpabiliser, mais pour réveiller aussi le désir). Rien qu'avec cette fin-là, on pourrait tenir une heure, si si.
Comme on n’a pas une heure, on garde l'essentiel : notre / Père / cieux
Une prière en “nous” Notre, d'abord. On le rabâche au caté, mais c'est très important : « notre », et non pas « mon ». La prière chrétienne, c'est une prière collective, une prière en nous : c'est celle de tous ceux qui sont devenus enfants du Père par le baptême. Toute prière, même tout seul dans sa chambre, est prière avec et pour les autres. Le NP nous dit d'abord qui on est : un peuple de baptisés. Puis il nous dit à qui on parle et vers qui on veut aller : « Père ». Le Père : une analogie Père, ça dit qu’on est en relation avec Quelqu’un, dont on peut parler comme d’un Père. Et dire Père, c’est en fait, mine de rien, employer une analogie.
voix off : une ana-quoi ?
Petit point vocabulaire : l'analogie, c'est le fond de commerce du théologien : sans analogie, pas de théologie. Pour parler de Dieu invisible, incompréhensible et transcendant, l'homme ne peut que faire avec son expérience et son vocabulaire. Avec la Bible, certains mots et certaines expériences nous sont données comme adéquats pour dire Dieu et son agir. Avec Jésus, l'analogie des analogies, c'est celle du Père. Père, c'est la manière la moins inadéquate pour dire l'être et l'agir de Dieu. un correctif : “qui es au cieux” Mais la théologie passe son temps à corriger une analogie l'une par l'autre, pour avoir un discours à peu près juste sur Dieu. Et oui, c'est parfois un poil irritant et pas hyper confortable : c'est comme, mais c'est pas comme, c'est aussi comme, mais c'est pas tout tout à fait ça ….
Pareil dans le Notre Père, si si, car ce Père, il est aux cieux. En langage biblique, dès qu'on parle du ciel, on parle de ce qui relève du divin, qui est transcendant, différent de la terre, le monde des hommes. Dire « notre Père », c'est dire une relation d'amour et de proximité. Dire « qui es aux cieux » c'est dire la transcendance de Dieu, sa différence d'avec le monde des hommes. C'est un père, mais il ne rentre pas tous les soirs à la maison, et ce n'est pas avec lui, qu'adolescent, on négocie le scooter ou la permission de minuit.
Conclusion - Le Notre Père commence par fixer notre regard vers ce Père-là, comme pour détourner nos yeux de notre nombril à nous, pour les fixer sur Lui d'abord. Et ça, c'est une école pour notre foi et notre désir : la fin, l'éternité, le paradis ce sera, pour tous les saints, ne pas cesser de regarder Dieu.
Le frère Grégoire Laurent-Huyghues-Beaufond dominicain de la Province de France a suivi ses études de théologie à Lille et à Fribourg (Suisse). Titulaire d'un Master en théologie, il s’est spécialisé dans l’Ancien Testament et vit actuellement au couvent du Saint Nom de Jésus à Lyon.
Nombre de messages : 3945 Age : 78 Localisation : Bretagne Date d'inscription : 09/05/2011
Sujet: Re: "Notre Père.. " par ThéoDom Mar 14 Jan - 15:26
Notre Père (2/3) : ciel et terre
On a vu que le Notre Père, c’était une école pour notre foi et pour notre désir : croire et désirer ce qui a lieu au ciel, ce que l’on demande sur la terre.
La fin de la première partie du Notre Père vaut pour les trois premières demandes. Ce que l'on demande, c'est que sur la terre aussi, comme c'est déjà le cas au ciel, dans l'éternité de Dieu, son nom soit sanctifié, c'est-à-dire reconnu comme saint, que son règne arrive, que sa volonté enfin soit faite. Que ton nom soit sanctifié C'est une formule typique de l'Ancien Testament, ça. Le nom de Dieu, c'est pour ainsi dire le support de sa présence parmi nous. Or, ce nom, c'est 4 lettres –on dit le tétragramme . 4 lettres qu'on ne sait pas prononcer, 4 lettres dont on ne sait pas ce qu'elles veulent dire : c'est un nom propre, comme Enzo ou Cunégonde, mais un nom tellement propre à celui qui le porte qu'on ne le comprend pas. Peut-être que ça pourrait vouloir dire « je suis », ou même « je suis qui je suis » comme dans l'épisode du buisson ardent (Ex 3, 14). Vous êtes d'accord, on est bien avancé. Le nom de Dieu nous dit que Dieu existe, point barre, il ne nous dit pas qui Il est en soi. Et que Dieu est, bah c'est encore une analogie – Dieu existe, mais « au ciel », vous vous souvenez ? càd différemment de tout ce qui existe sur terre. …. Et cette analogie de l’être, c'est l'analogie qui permet toutes les autres et ça reste assez peu compréhensible, quand on essaie d'y réfléchir.
Et pourtant, si on ne comprend pas, ça ne nous empêche pas de désirer et demander ce que nous ne connaissons pas vraiment, ce que nous ne pourrons jamais comprendre totalement : que Celui-là soit sanctifié.
Et puisque la sainteté est le propre de Dieu, on ne lui demande pas qu'il devienne saint – genre, il aurait une marge de progrès - mais d'être reconnu et glorifié comme saint. Qui fait quoi ? Vous aurez noté que deux de ces demandes sont formulées avec des verbes conjugués au passif : soit sanctifié, soit faite.
qui accomplit ces actions, ça n’est pas précisé ?
2 possibilités :
1ère possibilité : c'est Dieu, ce qu'on appelle un passif divin.
ça veut dire que Dieu est passif ?
Non, tout le contraire ! ça veut dire que c’est Dieu lui-même qui sanctifie son nom ou qui accomplit sa volonté.
2ème possibilité, c’est l'homme qui agit : l'homme lui-même doit agir pour que ce qui arrive au ciel arrive aussi sur terre. Vous vous en doutez, c'est les deux qu'il faut comprendre : passif divin ET homme aussi actif. Dieu agit le premier et nous donne sa grâce, pour que nous fassions son œuvre sur la terre.
Conclusion : Mine de rien, le Notre Père forme notre foi : c'est Dieu le premier acteur, et l'homme travaille sous sa grâce. Mine de rien, aussi, cette foi nous enseigne la bonne attitude de l'homme devant Dieu : regarder vers Lui, au ciel, et tout attendre de Lui, notre Père, et puis nous retrousser les manches.
Nombre de messages : 3945 Age : 78 Localisation : Bretagne Date d'inscription : 09/05/2011
Sujet: Re: "Notre Père.. " par ThéoDom Dim 19 Jan - 11:53
Notre Père (3/3) : 2 pieds sur terre
Mine de rien, la première partie du Notre Père, après avoir fixé nos regards sur le Père, nous fait baisser les yeux : ce que nous désirons, parfaitement réalisé au ciel, avec l'aide de Dieu nous pouvons œuvrer pour que cela arrive aussi sur terre. Et les 4 demandes qui suivent, c'est précisément les grâces, les aides, que Dieu nous fait pour cela.
De quoi l’homme a-t-il besoin pour travailler à l’avènement du règne de Dieu sur la terre ? Le pain, le pardon, la liberté. Notre pain quotidien Demande de la nourriture nécessaire pour travailler à l'œuvre du Père. Nourriture matérielle – ce qu'il faut pour vivre sa journée – nourriture spirituelle, le pain c'est aussi le pain de l'eucharistie.
Ici, celui qui prie le Notre Père fait un acte de foi : puisqu’il demande le pain pour la journée, il reconnaît que Dieu lui fournit ce dont il a besoin pour ne pas défaillir sur la route, que Dieu est provident et bienveillant. Et en même temps, le Notre Père forme notre désir : il nous apprend à ne pas demander plus que ce dont nous avons besoin : le pain pour aujourd’hui. off : ah oui, comme lorsque Jésus dit dans l’Évangile que demain se souciera bien assez tôt de lui-même (Mt 6, 34).
Mais c’est plutôt sur la suite que moi, souvent, je coince : pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi. Cela veut dire que Dieu met des conditions à son pardon ? Le pardon des offenses Ça peut coincer, en effet. C’est la seule demande du Notre Père où l’homme a explicitement quelque chose à faire … et ce n’est pas la chose la plus facile !! “Comme”, c’est une comparaison, ça sonne aussi comme une condition, et on pourrait trembler … Si je ne pardonne pas à celui qui m’a fait du mal, Dieu ne me pardonnera pas ? Quand il y a une difficulté pour comprendre un passage de la Bible, le mieux c’est de l’éclairer par un autre passage : la Bible explique la Bible. Vous vous souvenez de la fin de la parabole du fils prodigue (Lc 15, 28-32) ?
ah oui, quand le fils aîné est furieux que son père ait accueilli son petit frère et qu’il refuse de rentrer dans la salle des fêtes ?
Exactement : tant que le frère aîné ne pardonne pas, il ne rentrera pas dans la salle des fêtes. Pas parce que le père lui interdit l’entrée, mais parce que lui-même s’interdit d’entrer. Le père, lui, a les bras et la porte grand-ouverts. Dans la demande du Notre Père concernant le pardon, il y a un peu la même chose qui se joue : Dieu nous offre son pardon, mais si nous ne vivons pas sur la terre le même pardon avec nos frères, alors c’est que nous n’avons pas vraiment reçu le pardon de Dieu. On demande le pardon du bout des lèvres, mais pas du fond du cœur.
comme ailleurs, Jésus dit : “la mesure dont vous vous servez pour les autres servira aussi pour vous” (Lc 6, 38)
Exactement, c’est comme un cercle vertueux : plus je reçois le pardon de Dieu, plus je suis capable de pardonner à mon frère, et vice versa : plus je veux pardonner à mon frère, plus Dieu me rend capable de recevoir son pardon, pour le transmettre.
je comprends mieux, pardonner à son frère, c’est une grâce à demander. Pour que la colère ou la rancœur ne soient pas les plus forts. Ne nous laisse pas entrer en tentation En effet, et c’est là que la dernière demande du NP a bien toute sa place : ne nous laisse pas entrer en tentation. Sur cette demande, il y a des pages et des livres entiers qui ont été écrits. Vous vous souvenez sans doute du changement de traduction : ne nous soumets pas à la tentation est devenu ne nous laisse pas entrer en tentation. Cette nouvelle traduction est théologiquement plus juste que la précédente. Elle rappelle en effet que Dieu est bien un Père bon et bienveillant : ce n'est pas lui qui tente l'homme, pour le punir quand il a péché, après : ce n'est pas lui qui fait pécher l'homme.
mais si Dieu n'est pas le tentateur, alors le tentateur est-il un autre dieu ?
C'est là que l'ancienne traduction – ne nous soumets pas à la tentation - disait bien un autre aspect de la foi : tout est soumis à Dieu, y compris le tentateur. Si l'homme est tenté, c'est que Dieu le permet, c'est que ça rentre dans ses plans. Et notez qu'on ne dit pas : élimine la tentation, mais on dit : ne nous laisse pas y entrer tout entier. On pourrait reformuler : Quand je suis tenté, sauve ma liberté, pour que je puisse aimer en vérité, que le mal ne soit pas victorieux en moi. Quand nous résistons aux tentations que Dieu permet, c'est sûr que le royaume de Dieu est à l'œuvre en nous et par nous.
Conclusion On vous l'a faite un peu longue, cette série. À retenir : le Notre Père est la prière des prières, une école pour apprendre quelle est notre foi, quelle est notre espérance et quel est notre amour. Le Dieu auquel nous croyons : un Père bienveillant et provident. L'espérance qui est la nôtre : nous, enfants du Père, nous le verrons et le louerons au ciel. L'amour que nous sommes invités à vivre : avec l'aide de sa grâce, faire l'œuvre de Père sur la terre, comme elle se réalise déjà au ciel.